Retour à l'aperçu

Chantal Noël

La saisie-contrefaçon en matière de brevets d’invention : quelques règles à respecter

Lorsque le titulaire d’une demande de brevet ou d’un brevet soupçonne que des produits circulant dans le commerce ou proposés à la vente reproduisent les revendications de son brevet ou de sa demande de brevet, il souhaite généralement faire cesser rapidement ce présumé délit. À cet effet, la contrefaçon de son titre doit être prouvée pour que les sanctions adéquates puissent être prononcées.

La saisie-contrefaçon est très efficace comme moyen d’obtenir des preuves de la contrefaçon présumée, de son origine et de son étendue.

En effet, elle permet de saisir non seulement par voie de description ces preuves, mais également elle permet de saisir réellement des échantillons du produit présumé contrefaisant.
Grâce à l’effet de surprise qu’elle produit, car en France le saisi n’est pas prévenu, contrairement aux saisies dans d’autres pays, et parce qu’il s’agit d’une procédure non soumise au principe du contradictoire (le saisi ne peut pas s’opposer à son déroulé), elle s’avère la plupart du temps très fructueuse.

Pour pouvoir pratiquer des opérations de saisie contrefaçon, une ordonnance autorisant les opérations de saisie contrefaçon doit être obtenue.
À cette fin, une requête visant à obtenir cette ordonnance doit être déposée auprès du Tribunal Judiciaire de Paris.

Une fois l’ordonnance autorisant les opérations de saisie contrefaçon obtenue, les opérations de saisie peuvent se dérouler.

Cependant, il convient de ne pas se précipiter et de respecter quelques règles pour éviter que le saisi ne puisse pas utiliser avec succès les moyens de recours à sa disposition, à savoir :
– Demander la rétractation de l’ordonnance de saisie-contrefaçon,
– Demander la nullité partielle ou totale des opérations de saisie-contrefaçon

À qui demander une ordonnance autorisant les opérations de saisie contrefaçon ?

Lorsque aucune instance n’est en cours, la requête aux fins d’obtenir une ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon est présentée au président du Tribunal Judiciaire de Paris, qui est le seul compétent en matière de brevets d’invention.

Si une action en contrefaçon et/ou en nullité du titre est déjà en cours, seul le président de la chambre instruisant l’affaire en cours peut accorder l’ordonnance autorisant les opérations de saisie contrefaçon, sous peine de nullité.

Comment obtenir une ordonnance autorisant les opérations de saisie contrefaçon ?

Une requête est déposée par un avocat inscrit au barreau de Paris. La requête doit indiquer l’identité complète et exacte du ou des titulaires ainsi que la ou les copies de titres de propriété industrielle (brevets, dessins et modèles, etc. (Cour d’appel de Paris, ch. 04, 24 novembre 2000, TGI, paris, 3e ch, 1ʳᵉ sect 12 juin 2007) en vigueur concernés, pour chaque titulaire.

Lorsque le titulaire est une société, la requête doit indiquer précisément la désignation de la société, la forme sociale, le siège social et le pouvoir du représentant légal de la société.

La requête doit être accompagnée de toutes les pièces justificatives, telles qu’une copie certifiée conforme du ou des titres délivrés par l’INPI, les justificatifs des paiements d’annuités prouvant que le titre est en vigueur, un extrait du registre national des brevets français pour justifier la titularité (A. R615-2 du code de la propriété intellectuelle (CPI) et C. Cass. com. n°07-14709, 29 janvier 2008).

Aucune preuve ou début de preuve de la contrefaçon n’est en principe nécessaire pour obtenir l’ordonnance autorisant la saisie contrefaçon (LOI n° 2007-1544 du 29 octobre 2007).

Cependant, dans la pratique, il est prudent de fournir au moins un début de preuves.

Par exemple, il est possible de fournir un constat d’achat ou internet opéré par un huissier de justice.

Si le titre est un brevet français couvrant la même invention qu’un brevet européen qui désigne la France, le saisissant aura intérêt à vérifier que le délai pour former opposition a expiré pour éviter un éventuel sursis à statuer de l’action en contrefaçon à venir. De même, il faudra vérifier si le brevet européen s’est substitué au brevet français pour les parties communes car, dans ce cas, le brevet français a cessé de produire ses effets et ne peut pas valablement être opposé.

Qui est habilité à demander une ordonnance de saisie-contrefaçon ?

Le titulaire, le co-titulaire ou le licencié exclusif ont le droit d’agir en contrefaçon.

S’agissant du co-titulaire, en l’absence d’un règlement de copropriété spécifique disposant du contraire, une simple notification aux autres co-titulaires est suffisante. Il faudra toutefois penser à joindre une copie de cette notification aux pièces de la requête.

Le licencié exclusif doit mettre en demeure le titulaire, sauf si le contrat stipule le contraire en cas d’action en contrefaçon. La preuve de la mise en demeure doit être jointe à la requête.

Le licencié non exclusif ne peut pas engager une saisie-contrefaçon, ni engager une action en contrefaçon, et cela même en ayant une autorisation du titulaire. Celui-ci ne peut qu’intervenir pendant la procédure en contrefaçon pour obtenir réparation de son propre préjudice (TJ de Paris, le 8 juin 2021).

Que doit contenir l’ordonnance ?

Pour éviter toute requête en nullité et permettre que les éléments de la saisie puissent être utilisés lors de l’action en contrefaçon ultérieure, il est nécessaire que la requête soit la plus exhaustive possible et comporte explicitement :
– l’identité précise du juge ayant signé l’ordonnance,
– le ou les différents lieux géographiques où opérer la saisie-contrefaçon,
– les personnes devant assister l’huissier de justice,
– la personne morale et/ou la personne physique et/ou toute société agissant à l’adresse ou à l’enseigne à saisir,
– le ou les titres de propriété industrielle sur lesquels est fondée la saisie,
– la description détaillée des produits de la contrefaçon avec ou sans prélèvement d’un nombre raisonnable d’échantillons,
– la saisie réelle du produit argué de contrefaçon ou des documents afférents.

Qui peut être présent lors de la saisie-contrefaçon ?

– L’huissier de justice,
– Un ou plusieurs experts techniques, généralement le conseil en propriété industrielle du titulaire qui est indépendant des parties (CA Paris, 6 novembre 2020). Sa mission est uniquement d’assister l’huissier,
– Les forces publiques,
– Un serrurier,
– Un photographe,
– Un informaticien,
– Des témoins,
– Un expert-comptable.

Toutes ces personnes doivent être mentionnées dans l’ordonnance sous peine de voir le saisi demander la nullité de la saisie (nullité de forme). Le saisi doit cependant invoquer un grief pour obtenir l’annulation de l’ordonnance.
Le titulaire ou l’un de ses employés n’est pas autorisé à participer la saisie-contrefaçon sous peine de nullité de la saisie-contrefaçon (Cour cass., 8 juillet 2008).

Comment se déroule la saisie-contrefaçon ?

Les opérations de saisie-contrefaçon doivent se dérouler selon le respect des dispositions légales et/ou des termes de l’ordonnance.

Les opérations se dérouleront entre 6h et 21h et durant les jours non chômés sauf si l’ordonnance le requiert (art. 664 Code de procédure Civile (CPC)).

L’huissier doit remettre au représentant légal du détenteur des objets argués de contrefaçon une copie de l’ordonnance et de la requête avant le déroulement des opérations de saisie-contrefaçon (art. 495, alinéa 3 du CPC). Le CPI et l’art. 495 CPC ne prévoient pas de délai mais il convient que le saisi dispose de quelques minutes (usuellement entre 5 et 20 minutes) pour prendre connaissance des termes de l’ordonnance et éventuellement contacter son conseil, en particulier son conseil en propriété industrielle (CA de Bordeaux, 18 mars 2021 et CA de Paris, 23 mars 2021).

Le procès-verbal doit indiquer l’heure de la remise des documents et l’heure de début des opérations de saisie.

Lors de la saisie-contrefaçon, seul l’huissier de justice conduit les opérations d’investigation et établit la description des documents et objets saisis. Exceptionnellement, l’huissier peut reprendre les constations du ou des experts en distinguant les explications de ceux-ci dans le procès-verbal lorsque le domaine technique et la technique sont très complexes.

Le procès-verbal

À l’issue des opérations de saisie, l’huissier doit remettre une copie du procès-verbal et de toutes les pièces annexes au saisi.
Le procès-verbal peut être complété ultérieurement avec des documents transmis par le saisi.
Le procès-verbal doit être signé par l’huissier mais pas nécessairement par le saisi.

Suite de la saisie-contrefaçon ?

Le procès-verbal est utilisé pour assigner le présumé contrefacteur devant le TGI ou un tribunal étranger dans un délai assez bref de 20 jours ouvrables, ou 31 jours ouvrés, sous peine de nullité de la saisie.

Les informations énoncées ci-dessus seront toujours valables à l’arrivée du brevet unitaire puisqu’il y aura la coexistence d’un titre français et d’un titre européen. La saisie-contrefaçon et l’action en contrefaçon seront possibles sur la base du titre français.

Renforcez vos connaissances en
matière de propriété intellectuelle

Restez au courant des dernières actualités de Gevers en vous inscrivant à notre newsletter.

"*" indicates required fields

This field is for validation purposes and should be left unchanged.