Retour à l'aperçu

Cession des droits de Propriété Industrielle en France

Industrial Property

Après une série de publications consacrées aux marques non conventionnelles[1],  ainsi que divers articles sur les systèmes d’intelligence artificielle et certains aspects de leur interaction avec les droits de propriété intellectuelle[2], nous avons choisi, en cette traditionnelle période de rentrée des congés estivaux, d’aborder des sujets moins d’actualité, mais touchant également au cœur de notre métier, à savoir la pratique contractuelle en France en relation avec les droits de propriété industrielle, et en particulier les contrats de cession.

L’évolution de la jurisprudence ces dernières années en la matière nous amène à aborder ce sujet car celle-ci semble remettre en question une pratique courante qu’est le recours aux contrats de cession des droits de PI conclus à titre gratuit.

Appelés à se prononcer sur leur validité, les tribunaux n’ont pas hésité à sanctionner par la nullité ce type de contrat.

Un autre sujet, indissociable des contrats de cession, que la jurisprudence récente a eu également à connaître, concerne l’inscription de ces actes à l’INPI.

S’agissant d’opérations qui touchent au quotidien des propriétaires de ces biens immatériels, les décisions des tribunaux en date en la matière sont chargées de conséquences pratiques importantes.

I. Requalification en donation des cessions de droits de propriété industrielle à titre gratuit

Trois jugements rendus en première instance[3], dont un confirmé en appel[4], ont purement et simplement jugé que le contrat qui emporte gratuitement la cession des droits de propriété industrielle est par « définition une donation ». En conséquence, faute d’avoir respecté la forme notariée que l’article 931 du Code civil prescrit pour les donations, le contrat de cession à titre gratuit doit être annulé.

Cette solution a suscité des réactions contrastées de la pratique et la doctrine, apparaissant évidente pour certains[5], surprenante pour les autres[6].

Pour comprendre ces décisions, il est nécessaire de définir les notions de cession et de donation. Après ce travail de définition, des hypothèses de travail seront indiquées qui pourront être exploitées dans le cadre de la rédaction des contrats qui emportent le transfert des droits de propriété intellectuelle.

A. Pour les juges du fond, à titre gratuit, cession rime avec donation

Le contrat de cession est une vente, par laquelle la propriété d’une chose est transférée à l’acquéreur moyennant un prix (article 1582 du Code civil).

La donation, quant à elle, est une libéralité et se définit comme un « acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte » (article 894 du Code civil).

Étant régie par le droit de la vente, pour être valable, une cession de biens doit en respecter les conditions de formation qui nécessitent un accord des parties sur la chose et sur le prix sans exigence d’écrit. Par conséquent, la gratuité est exclue par définition du contrat de vente.

S’agissant de la cession des droits de PI, les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle complètent ces règles générales par des exigence de forme (nécessité d’un écrit) et de publicité.

C’est dans ce contexte que les tribunaux ont jugé que le contrat qui emporte explicitement transfert des droits de PI à titre gratuit est par définition une donation.

Aux termes de l’article 931 du Code civil « tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité ». Requalifié en donation, le contrat qui n’a pas été passé par devant notaire doit ainsi être annulé.

Cependant, la gratuité de l’acte n’apparaît pas per se suffisante pour requalifier une cession en donation, il faut que cet acte comporte en particulier la volonté du donateur de gratifier le donataire, (appelée intention libérale ou animus donandi), sans aucune contrepartie.

A cet égard, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l’intention libérale doit être caractérisée[7] et ne se présume pas de la gratuité.

Or dans leurs récentes décisions, les juges semblent faire découler l’intention libérale du cédant de la formulation même du contrat de cession qui stipule qu’elle est faite à titre gratuit : « (…) le contrat daté du 13 juillet 2015 (…) emporte explicitement transfert de propriété de la marque et des modèles ‘à titre gratuit’ » (TJ Paris, 08 févr. 2022) ; « qu’aucune stipulation du contrat ne permet de conclure qu’il ne s’agirait pas d’une véritable donation » (CA Paris, 13 mars 2024) ; « (…). Il est établi que le contrat de cession de marque du 20 mai 2020 prévoit en son article 4 une gratuité de la cession » (TJ Lyon, 09 avril 2024).

Si cette solution apparaît peu orthodoxe au regard de la position de la Cour de cassation, elle permet de revenir sur l’importance revêtue par la rédaction des contrats de cession.

B. Conséquences sur la rédaction des contrats de cession de droits de PI

Tout d’abord, pour éviter tant une nullité du contrat de cession de droits de propriété intellectuelle dépourvu de prix  par sa requalification judiciaire en donation que de devoir passer un acte notarié le cas échéant, il convient de s’interroger sur l’opération de cession et d’être en mesure de comprendre si le contrat ne serait pas en réalité à titre onéreux.

Tel serait le cas s’il existe des contreparties à la cession dépourvue de prix, c’est-à-dire si le cessionnaire ne serait pas redevable de quelque chose au cédant autre qu’une contrepartie pécuniaire.

Dans cette hypothèse, avant toute chose, la clause qui stipulerait que la cession des droits de PI s’effectue « à titre gratuit » doit être proscrite.

Si le contrat n’indique aucune contrepartie financière, l’existence du caractère onéreux du contrat pourra résulter de toute indication mettant en avant des obligations des parties du fait de la situation dans laquelle s’inscrit la cession.

Ainsi, il conviendrait de lever toute ambigüité dès la rédaction du préambule du contrat qui précède l’énumération des différentes clauses.

Le préambule pourra notamment prévoir une présentation utile des parties au contrat, la ou les raisons qui conduisent les parties à contracter, en explicitant d’emblée tant l’environnement où le contrat s’insère que l’intention (non libérale) qui anime les parties.

Ensuite, il pourrait être insisté dans le corps du contrat sur le titre onéreux de la cession et l’absence d’intention libérale.

Ainsi qu’il a été fait remarquer par un commentateur, « une cession de propriété industrielle peut également inclure des obligations et engagements divers au bénéfice du cédant : obligation d’exploiter, non-concurrence, coexistence…, qui lui confèrent dès lors un caractère onéreux »[8].

En résumé, au plan contractuel, il est donc possible d’aménager la cession sans prix de sorte à échapper à la sanction des juges, ou d’éviter de passer l’acte par devant notaire.

II. L’inscription au registre des contrats de cession des droits de PI

Comme indiqué précédemment, le Code de la Propriété Intellectuelle prévoit des exigences de publicité des actes touchant aux droits de PI, publicité qui conditionne l’exercice de ces droits vis-à-vis des tiers.

Qu’il s’agisse des marques, dessins ou modèles ou brevets d’invention, la formule est la même « toute transmission ou modification des droits attachés à ces droits (dessin ou modèle déposé / demande de brevet ou brevet/ marques) doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au Registre national des dessins et modèles /brevets/marques. »[9]

S’il est toujours préférable d’inscrire au registre une cession rapidement après qu’elle soit intervenue, un jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon le 9 avril dernier permet de revenir sur l’importance de l’inscription d’un contrat de cession de droits de propriété industrielle au registre national correspondant tenu par l’INPI, même en cours de procédure judiciaire.

A. Mieux vaut tard que jamais : de l’importance d’inscrire

En vertu de ces dispositions, le cessionnaire d’un droit de propriété industrielle ne peut agir en contrefaçon de son droit contre un tiers que si le contrat de cession a été inscrit. Même s’il a acquis la propriété du titre contractuellement, le cessionnaire ne pourrait en principe engager une action judiciaire en l’absence d’inscription et pourrait même être condamné aux dépens de l’action[10].

Il ressort de cette décision récente que le cessionnaire pourrait donc intenter l’action en contrefaçon sans avoir inscrit le contrat de cession au registre de l’INPI et être recevable à agir s’il procède à l’inscription avant que le juge ne statue. En revanche, la saisie-contrefaçon ne pourra pas, quant à elle, être régularisée.

Lorsque les actes de contrefaçon du droit ont commencé avant la cession et se poursuivent après, le cessionnaire, en principe, ne pourra pas obtenir réparation des actes de contrefaçon pour la période antérieure à la publication de l’inscription, à moins que le contrat de cession inscrit aménage cette période.

B. L’importance pour le cessionnaire d’aménager contractuellement les effets de la cession dans le temps.

C’est à compter de la publication de l’inscription que le cessionnaire pourra faire valoir son titre de propriété. C’est également à compter de cette date que le cessionnaire pourra être indemnisé du préjudice induit par les actes de contrefaçon.

En revanche, si le contrat de cession aménage la période à compter de laquelle le cessionnaire pourra faire valoir les droits issus de la cession, il sera possible de demander la réparation même pour les actes de contrefaçon qui précèdent la publication de l’inscription.

En effet, il est par exemple possible de stipuler dans le contrat que la propriété du titre de PI prendra effet rétroactivement à une date antérieure à celle de la signature du contrat.

Pour conclure, la rédaction d’un contrat de cession, qui est un acte juridique ayant des effets importants sur le titre de Propriété Industrielle concerné, ne doit pas être considérée comme un acte anodin.

En tant que spécialistes de la Propriété Industrielle, nous pouvons vous assister dans la rédaction de ces contrats de cession, mais aussi de tout autre contrat impliquant des droits de Propriété Industrielle.


[1] COULONVAUX Jérôme, « Non-Conventional Trademark – Part 1 – Color Mark », 16 juin 2023 ; VAN DRIESSCHE Adeline, « Non-Conventional Trademarks – Part 2 – Trademarks that stimulate the senses », 12 décembre 2023 ; CHRISTOL Julie, « Non-Conventional Trademark – Part 3 – Sound Marks », 21 mars 2024 ;  ARTUPHEL Emilie, MARC Eléonore, « Marques non conventionnelles – Partie 4 – Les marques tactiles : Quand le touché devient une marque », 27 juin 2024 ; (accessibles via le site : https://gevers.eu/insights-gevers/).

[2] V. not. VAN COPPENOLLE Frank « Artificial Intelligence in the BioTech field », 21 mars, 2024; KUYPERS Lien, DE CLERQ Katia,  « The interaction between Artificial Intelligence and design: an analysis under EU design law», 21 mars 2024.

[3] Tribunal judiciaire de Paris, 8 février 2022, n°19/14142 pour un contrat de cession d’une marque et de dessins et modèles ; tribunal judiciaire de Paris, 12 avril 2023, 23/50949 statuant sur une cession de droits d’auteur; tribunal judiciaire de Lyon, 9 avril 2024, n°19/14142 sur la cession d’une marque.

[4] Cour d’appel de Paris,13 mars 2024, n°22/05440 

[5] Par exemple : THRIERR Olivier, « Dura lex sed lex. Vere ? Cession de marque : le – juste – prix », BLIP, le blog de la propriété intellectuelle, 23 juillet 2024 (https://blip.education/dura-lex-sed-lex-vere-cession-de-marque-le-juste-prix)

[6] BAILEY Sarah, CHOQUET Hélène, BONDUELLE Patrice, « Cessions de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit – dangers et solutions ! », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, Nº 205, 1er juillet 2023 ; KAMINA Pascal, « Une cession à titre gratuit est-elle nécessairement une donation ? », CCE n°4 avril 2022, LexisNexis.

[7] Cour de cassation, première chambre civile, 24 janvier 2018, n° 16-26.971 ; 18 mars 2020, n° 18-19.650 ; 10 février 2021, n° 19-20.026 ; 12 janvier 2022, 20-14.455.

[8] KAMINA Pascal, « Une cession à titre gratuit est-elle nécessairement une donation ? », CCE n°4 avril 2022, LexisNexis.

[9] Articles L. 513-3, L. 613-9 et L. 714-7 du Code de la propriété intellectuelle.

[10] Cour de cassation, chambre commerciale et financière, 11 janvier 2000, n° 97-10.838 ; pour un exemple récent : cour d’appel de Paris, 15 mars 2023, n°2021/09605.

Renforcez vos connaissances en
matière de propriété intellectuelle

Restez au courant des dernières actualités de Gevers en vous inscrivant à notre newsletter.

"*" indicates required fields

This field is for validation purposes and should be left unchanged.