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Usage modifié de la marque telle qu’enregistrée : attention à ne pas altérer le caractère distinctif originel

Contrairement aux pays de droit anglo-saxon où l’usage peut générer des droits de marque (comme par ex. aux États-Unis[1]), en France, comme dans tous les pays de l’Union européenne, ce droit s’acquiert uniquement par l’enregistrement[2] de la marque auprès de l’Office.
Cinq ans après l’enregistrement de la marque, pèse sur le titulaire le risque d’avoir à prouver son usage sérieux à la demande de tout tiers, soit dans le cadre d’une procédure d’opposition[3]ou d’annulation contre une marque tierce, soit lors d’une action en déchéance[4] pour non-usage contre son enregistrement.
Dans le premier cas, le défaut d’usage sérieux conduit à l’inefficacité de l’action défensive, tandis que dans le second, c’est la survie même de la marque qui sera en jeu.
Or, il est fréquent qu’une marque subisse des évolutions après son enregistrement et qu’elle soit finalement utilisée sous une forme différente de celle sous laquelle elle a été enregistrée à l’origine .
La question se pose alors de savoir si un tel usage modifié constitue un usage de la marque enregistrée, permettant de conserver les droits sur celle-ci en cas d’action.
Selon la loi française, en application du droit de l’UE, la possibilité d’utiliser la marque sous une forme différente n’est admise qu’à la condition que l’élément essentiel caractérisant celle-ci ne soit pas modifié à un point tel que la marque sous la forme utilisée n’en doive être considérée comme une nouvelle marque, laquelle ne serait plus couverte par l’enregistrement d’origine. [5]
Pour rappel, le caractère distinctif d’une marque permet aux consommateurs d’identifier l’origine commerciale des produits ou des services, c’est-à-dire de les identifier comme provenant d’une entreprise et de les distinguer de ceux mis sur le marché par les autres entreprises.
Dans un arrêt rendu le 23 février 2006, le Tribunal de l’UE (ci-après TUE) a rappelé que l’objet de cette règle est de permettre au titulaire de la marque d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés.[6]
Par ailleurs, il a précisé que lorsque le signe utilisé dans le commerce diffère de la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré, uniquement par des éléments négligeables, de sorte que les deux signes peuvent être considérés comme globalement équivalents, l’obligation d’usage de la marque enregistrée peut être remplie en rapportant la preuve de l’usage du signe qui en constitue la forme utilisée dans le commerce.
Comme nous l’expliciterons ci-après, deux aspects sont fondamentaux dans cette appréciation : le degré de caractère distinctif de la marque enregistrée et sa perception par les consommateurs.
Nous évoquerons ensuite quelques exemples tirés de la pratique pour mieux comprendre ces principes.
I. Le degré de caractère distinctif et la perception du public
Pour apprécier si l’usage de la marque enregistrée sous une forme différente permet de conserver des droits sur cette dernière, il faut tenir compte notamment du degré de distinctivité, d’un côté, et de la perception du public de la forme modifiée de cette marque, de l’autre.
A. L’importance du degré de caractère distinctif de la marque enregistrée
Le TUE a jugé que « plus le caractère distinctif de [la marque enregistrée] est faible, plus il sera aisément altéré par l’adjonction d’un élément lui-même distinctif, et plus la marque en question perdra son aptitude à être perçue comme une indication de l’origine du produit qu’elle désigne ».[7]
Ainsi, si la marque enregistrée présente un caractère distinctif faible dès l’origine, son usage sous une forme modifiée sera plus susceptible d’amener à conclure à l’altération de son caractère distinctif.
Il en a été ainsi de la marque POPOTE, qui était ab initio peu distinctive pour désigner des services de restauration « en ce qu’il évoque une caractéristique de la cuisine proposée à savoir simple et faite maison »[8]. L’INPI a, par conséquent, jugé que l’utilisation de cette marque sous la forme modifiée « POPOTE BOX » ou « LA POPOTE DU MARCHÉ » altérait le caractère distinctif de la marque enregistrée POPOTE.
À l’inverse, si la marque présente un caractère distinctif normal voire élevé, celui-ci sera moins susceptible d’être altéré par des modifications au cours de l’usage.
Par exemple, l’ajout de la dénomination BEER à la marque enregistrée STEAM, couvrant des « bières », bien qu’elle possède un caractère dominant en raison de sa taille et de sa position dans le signe utilisé, n’en altérait pas le caractère distinctif. [9]
B. La prise en compte du consommateur pertinent
L’appréciation de l’usage de la marque sous une forme modifiée intègre encore nécessairement la perception qu’en aura le consommateur. Ce dernier doit retrouver les éléments essentiels de la marque telle qu’enregistrée initialement.
À titre d’illustration, il a été jugé que l’ajout de certains éléments, qui ne figuraient pas dans la marque enregistrée, ne conduisait pas à l’altération du caractère distinctif, puisqu’ils n’empêchaient pas le consommateur moyen de percevoir la forme de la marque telle qu’elle avait été enregistrée. [10]
II. Usage modifié des marques verbales et figuratives
Nous évoquerons quelques exemples pratiques concernant les marques dites verbales. Et celles figuratives composées à la fois d’éléments verbaux et figuratifs.
A. Indifférence de l’ajout d’éléments décoratifs au sein des marques verbales
Les marques verbales sont composées d’un mot ou d’un groupe de mots. Elles sont très souvent enregistrées en caractères noirs dans une police simple.
En pratique, il est fréquent que ces marques soient cependant utilisées en couleurs, en caractères relativement stylisés, voire même accompagnées d’éléments figuratifs qui décrivent les produits ou les services proposés.
L’ajout de ces éléments modifie indéniablement la forme de la marque enregistrée dans la mesure où ils n’y figurent pas.
Pour autant, il a été jugé que « c’est à juste titre que l’INPI a estimé que l’usage du signe complexe ASSAINOL valait usage de la marque verbale litigieuse dès lors que l’ajout d’éléments figuratifs susceptibles de représenter un toit ainsi qu’une feuille verte sur la lettre I n’altérait pas le caractère distinctif de la marque verbale ASSAINOL »[11].
B. Caractère distinctif accru des éléments verbaux sur les éléments figuratifs
Lorsqu’une marque enregistrée comporte à la fois un mot, ou plusieurs mots, et des éléments figuratifs, comme un logo, les premiers priment en général sur les seconds, surtout lorsque l’élément verbal occupe une place prééminente.
Il est de jurisprudence constante que « lorsqu’une marque est composée d’éléments verbaux et figuratifs, les premiers sont en principe plus distinctifs que les seconds, car le consommateur moyen ferait plus facilement référence au produit en cause en citant le nom qu’en décrivant l’élément figuratif de la marque ».[12]
* * *
En conclusion, l’usage d’une marque sous une forme qui diffère de celle enregistrée doit être envisagé avec prudence.
Il est essentiel d’anticiper les enjeux dès la phase de dépôt et de faire le point régulièrement sur l’usage de ses marques.
En tant que spécialistes de la Propriété Industrielle, nous vous accompagnons dans la définition et la mise en œuvre de telles stratégies, afin non seulement de prévenir les risques liés à l’usage modifié de la marque, mais aussi de consolider et valoriser vos droits dans la durée, notamment par l’audit de vos portefeuilles.
[1] Pour en savoir plus voir : J. E. ANFOSSI-DIVOL “Comparative Approach to Federal US Law and Franco-European Law on Trademarks : Use and Registration as Essential Elements of the Harmonization of Trademark Law ” pub. ed CEIPI, 2003.
[2] Article 6 du règlement européen sur la marque de l’UE, dit RMUE ; article L. 712-1 du Code de la propriété intellectuelle, ci-après CPI.
[3] Article 47, 2. RMUE ; article L. 712-5-1 CPI.
[4] Article 58, 1. a) RMUE ; article L. 714-5 CPI.
[5] L’article L. 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle pose pour principe qu’ « est assimilé à un usage au sens du premier alinéa (…) 3° l’usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ».
[6] TUE, 23 févr. 2006, aff. n° T-194/03, Baindbridge.
[7] TUE, 10 oct. 2018, aff. n° T-24/17, D-Tack.
[8] INPI, 15 avr. 2022, DC 21-0072.
[9] TUE, 14 sept. 2022, aff. n° T-609/21, Steam.
[10] TUE, 26 oct. 2022, aff. n° T-273/21, The Bazooka Companies / EUIPO – Bilkiewicz (Forme d’un biberon).
[11] Cour d’appel de Paris, 15 juin 2022, RG n°22/11271, confirmant la décision de l’INPI du 15 mars 2021, DC 20-0009.
[12] TUE, 09 févr. 2022, aff. n° T-589/20, Maimai made in Italie c./ Yamamay